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Mise en ligne : Cercle d'histoire locale de Lanildut

La batterie de l’Aber-Ildut (XVIIIe-XIXe siècles)

par Jean-Yves Besselièvre


La commune de Lanildut conserve les vestiges remarquablement préservés et méconnus de la batterie de l’Aber, témoin de la longue lutte entre la France et l’Angleterre.


Une batterie de défense côtière

Près du sentier GR 34, au lieu-dit le Roz, subsistent les vestiges d’une batterie de défense côtière du XVIIIe siècle : deux plates-formes aménagées derrière un parapet maçonné et un épaulement en terre.

Trois canons de 12 livres équipaient la batterie. Pesant 1 500 kg environ, ils pouvaient lancer leur projectile à plus de 2 500 mètres, protégeant ainsi l’accès à l’Aber-Ildut et à son mouillage.


Ces canons constituaient une menace sérieuse pour tout navire hostile du fait de leur calibre et de leur portée, mais aussi du fait de la supériorité des batteries à terre sur les navires. Selon un adage de l’époque, « un canon à terre en vaut trois à la mer ». En effet, le tir d’un navire sur un objectif aussi réduit qu’une batterie était rendu difficile par les mouvements de roulis et de tangage. En revanche, les pièces à terre pouvaient ajuster leur tir grâce notamment à des châssis orientables permettant le tir par-dessus le parapet et non au travers d’embrasures. Ainsi, il était possible de suivre l’évolution d’un navire et de faire feu à plusieurs reprises.

Outre les plates-formes, la batterie comprenait un magasin à poudre et un corps de garde voûtés, ainsi qu’une guérite. Seuls les deux premiers éléments sont encore visibles. Un mât de signaux, haut de 16 mètres, complétait l’ensemble et permettait la communication au moyen de pavillons.

Les batteries de défense côtière n’étaient armées qu’en temps de guerre. La paix venue, les équipements étaient remisés dans les magasins du roi, les corps de garde, voire dans les églises. Malgré cela, et faute de gardiennage, les éléments en bois et en fer étaient très souvent dérobés par la population locale. Les canons demeuraient sur les plates-formes, posés à même le sol.


La défense de l’Aber-Ildut

Bien qu’une défense des côtes ait existé dès l’époque médiévale, ce n’est qu’au XVIIe siècle, avec la création du port et de l’arsenal de Brest, qu’un système cohérent est conçu. Son auteur, Vauban, verrouille l’accès à la rade de Brest et protège les côtes alentours pour éviter toute descente prenant à revers le premier port de la marine royale.

Pendant deux siècles, la Bretagne est une province frontière particulièrement exposée dans le cadre de la « deuxième guerre de Cent Ans » face à l’Angleterre. Le système conçu par Vauban dans l’urgence de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) est complété et amélioré par ses successeurs. Il atteint sa maturité lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763) sous l’action du duc d’Aiguillon, commandant en chef en Bretagne.

Au XVIIIe siècle, le port de Lanildut est, avec Le Conquet et Argenton, l’un des premiers ports de commerce du Léon, loin devant Brest. En 1755, Lanildut arme 40 navires contre seulement 14 à Brest. Le cabotage, le transport du granite de l’Aber, mais aussi le commerce du vin de Bordeaux constituent l’essentiel de l’activité marchande.


Un commerce aussi important est une proie de premier choix pour la Royal Navy mais surtout pour les corsaires des îles anglo-normandes. Ainsi, lors de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) une batterie est-elle installée au débouché de l’Aber-Ildut. La menace anglaise reste permanente.


En janvier 1756, un corsaire anglais s’empare de deux barques d’Argenton ; en avril 1758, c’est au tour d’un bateau de Plouarzel chargé de pierres d’être capturé. Le même mois, deux frégates anglaises mouillent pendant plusieurs heures au travers de l’Aber-Ildut. L’année suivante, les Anglais débarquent sur l’île de Quémenez, à l’entrée du Four, et s’emparent des bœufs et chevaux.

En août 1761, la batterie de l’Aber-Ildut protège une division de 17 navires français armés pour reprendre Belle-île-en-mer tombée aux mains des Anglais. L’escadre appareille pour Port-Louis en septembre mais l’opération est finalement annulée.

Sous la Révolution, la surveillance des côtes prend une nouvelle dimension avec la lutte contre les émigrés et les ennemis de la République, notamment après la tentative des contre-révolutionnaires à Quiberon en 1795. Enfin, les préposés aux douanes assurent des patrouilles de batterie en batterie afin de lutter contre la contrebande.


La milice garde-côte

Suivant les époques et l’équipement de la batterie, 15 à 25 hommes étaient nécessaires au service des canons.

Dans le cadre de la milice garde-côte, toutes les communes situées à 2 lieues du littoral (environ 8 km) devaient fournir les hommes nécessaires au « guet de la mer » ainsi qu’à la manœuvre du canon en temps de guerre. Les servants étaient tirés au sort parmi les hommes de 16 à 60 ans.

En 1742, 12 miliciens gardes-côtes servent la batterie sous les ordres d’un maître-canonnier, Ildut Moyot.

Cette institution, peu efficace et décriée dans les cahiers de doléances, est supprimée en 1791 ; les batteries sont alors confiées à la Garde nationale. En 1793, face à la menace anglaise, la Convention nationale fait de nouveau appel à la population locale en créant un corps de canonniers volontaires. L’encadrement est assuré par d’anciens canonniers ou officiers, tel Le Disez de Kerbabu nommé commandant temporaire.

La chute de l’Empire clôt la longue lutte avec l’Angleterre et fait passer la défense des côtes au second plan. Celle-ci est désormais assurée en mer grâce à des navires garde-côtes à vapeur. Devenue inutile, la batterie est désarmée puis vendue à la fin du XIXe siècle.

Témoin de la vie maritime et villageoise de Lanildut, la batterie de l’Aber-Ildut est l’un des rares exemples de tels ouvrages parvenus jusqu’à nous sans destructions majeures.

Canonniers en service sur la batterie au mois d’août 1793

Budoc Caraës, gardien
Nicolas Caraës, garde-côte
Jean Bizien, idem
Ildut Audrezet, idem
Jean Audrezet
Guillaume Pelleteur
Jean Legall
Louis Kerébel
Joseph Ledreff
Jean-François Morel
François Péton
Gabriel Tandeau
Jean Bescond
Pierre Provost
Jean Raoul
Jean Lamour père
Yves Lezec
Mathieu Chausten

Jean-Yves Besselièvre


Sources principales :
Archives départementales du Finistère (Quimper), Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (Rennes), Service historique de la Défense (département Marine (Brest), département de l’armée de Terre (Vincennes), Musée de l’armée, Hôtel national des Invalides (Paris).
Florence Stephan-Bideau, Le trafic maritime dans les quartiers de Brest et du Conquet au milieu du XVIIIe siècle, Mémoire de maîtrise, UBO, 1994.
Jean-Pierre Hirrien, Corsaires ! Guerre de course en Léon (1689-1815), Morlaix, Skol Vreizh, 2004.

> La restauration de la batterie de l‘Aber
> Le canon de la batterie de l‘Aber

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